#SkinnyTok ou la glorification des TCA sur TikTok

Sur TikTok, le hashtag #SkinnyTok accumule aujourd’hui plus de 800 millions de vues. Dans cette tendance virale, des vidéos en apparence anodines vantent la perte de poids rapide, les repas ultra-restreints et des “routines minceur” extrêmes. Si le réseau social a affirmé vouloir mieux modérer les contenus liés aux troubles alimentaires, les algorithmes continuent de recommander en masse des vidéos favorisant des standards corporels irréalistes. Une dynamique préoccupante alors que les troubles du comportement alimentaire (TCA) explosent chez les jeunes.

Sous couvert de “inspiration” ou de “motivation”, #SkinnyTok promeut un retour à l’esthétique des années 2000, marquée par la maigreur extrême des mannequins taille 32. Des vidéos de jeunes femmes se pinçant la peau, filmant leur tour de taille ou affichant leur “cheat meal” de 300 calories sont légion. On y retrouve même des citations issues de la culture pro-ana (pro-anorexie), comme le tristement célèbre : “Nothing tastes as good as skinny feels.”, en français : "Rien n’a aussi bon goût que la sensation d’être mince."

Cette apologie de la minceur s’habille d’un vernis tendance, où les contenus sont esthétiques, filtrés et mis en musique. Le phénomène s’inscrit dans un “retour au culte de la maigreur” et gagne du terrain dans les univers mode, beauté et fitness, alimenté par des influenceuses ou créatrices de contenu à l’audience massive.

Des conséquences graves sur la santé mentale

Le retour en force de la minceur comme idéal esthétique n’est pas sans conséquence. Selon Santé publique France, près de 10 % des adolescentes françaises présentent des symptômes de TCA. Entre 2020 et 2023, les hospitalisations pour anorexie mentale chez les jeunes ont bondi de 30 %. Les professionnels de santé mentale alertent également sur les cas de “TCA mixtes” — mêlant anorexie, boulimie et hyperphagie — en nette augmentation.

Ce que redoutent les spécialistes, c’est l’effet “d’exposition passive” : à force de voir des contenus minces et restrictifs, les jeunes utilisateurs finissent par intégrer ces normes comme des objectifs à atteindre. L’adolescence, période de construction identitaire et corporelle, est particulièrement vulnérable à ce type de contenu. Le risque est de favoriser l’auto-dévalorisation, la restriction alimentaire ou l’obsession du contrôle du poids.

Une modération insuffisante de la part de TikTok

Face à cette tendance, TikTok affirme renforcer sa politique de modération, en supprimant les contenus faisant la promotion des TCA et en redirigeant les recherches vers des ressources d’aide. Pourtant de nombreux contenus problématiques échappent aux radars de la plateforme. Pire, l’algorithme tend à proposer des contenus similaires à ceux déjà visionnés, créant un effet de bulle et de renforcement.

Certaines utilisatrices dénoncent également une modération paradoxale : des comptes promouvant la diversité corporelle ou la récupération après un TCA sont censurés, tandis que d’autres, glorifiant la restriction, restent accessibles. Les algorithmes, optimisés pour maximiser l’engagement, participent indirectement à la diffusion de ces contenus nocifs.

Un manque de prévention contre les TCA

Alors que les vidéos de #SkinnyTok ciblent principalement les 12-25 ans, les politiques publiques peinent à suivre. En 2023, une proposition de loi visant à réguler les influenceurs santé sur les réseaux sociaux a été déposée, mais sans mesures spécifiques liées aux TCA ou à la promotion de la minceur.

Pourtant, les conséquences sont bien réelles. L’OMS reconnaît les TCA comme l’une des principales causes de morbidité chez les jeunes femmes en Europe. En France, entre 600 000 et 1 million de personnes seraient concernées par des troubles alimentaires, selon les estimations de la Fédération Française Anorexie Boulimie.

Plusieurs associations, comme SOS Anor ou la Fédération Française des TCA, appellent à une meilleure éducation aux médias, à des campagnes de prévention ciblées, et à un renforcement de la modération algorithmique.

Face à la viralité de ces tendances, le rôle des adultes reste central. Accompagner les adolescents et adolescentes dans leur usage des réseaux, les aider à développer leur esprit critique et à reconnaître les signaux d’alerte sont des leviers essentiels. Il est également important de valoriser des représentations corporelles diversifiées et réalistes, et de rappeler que la santé ne se résume pas au poids. Derrière #SkinnyTok, c’est tout un système de normes visuelles, de pression sociale et de marketing qui se cache — et qui peut, insidieusement, mettre en danger la santé mentale de toute une génération.

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Écrit par Laure ROUSSELET

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